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Plaidoyer pour la fonction d'arbitrage

  • Photo du rédacteur: Erwan Hernot
    Erwan Hernot
  • 23 avr.
  • 5 min de lecture

Arbitrage ou comment dépassionner la décision
Arbitrer : ce n'est pas un échec

Remarque préliminaire : parler d'arbitrage c'est parler de conflit. Il y a plusieurs types de conflits. Je traite ici du conflit organisationnel à l'exclusion des autres (entre deux personnes, intra groupe, inter groupe, etc.) De la même façon, il faut faire la différence entre arbitrage et médiation. La médiation est un processus de résolution de conflits qui prend la forme d'une négociation menée par les acteurs du conflit, facilitée par la présence d'une tierce personne neutre, le médiateur, qui les assiste à trouver une solution. L'arbitre, en raison des pouvoirs qui lui sont conférés par la structure (autorité hiérarchique), rend sa décision qui s'impose aux acteurs du conflit.


Le monde volatile, incertain complexe et ambiguë suppose une adaptation des structures de l'entreprise vers plus de souplesse. C'est ainsi que les matrices sont apparues, il y a déjà une trentaine d'années et que le travail en mode projet s'est également développé. Ces changements structurels comportent en eux les germes d’un conflit organisationnel. Ce conflit organisationnel provient de l'opposition suscitée par l'organisation même de l'entreprise :


  • Spécialisation: les collaborateurs, dans les silos, ont tendance à devenir des spécialistes d'un travail particulier : ils ont alors peu de connaissances sur les objectifs, les enjeux des autres. Par exemple, un chef de projet d’une nouvelle application a besoin pour des raisons de sécurité d'un hébergement personnalisé. Mais l'équipe exploitation de la DSI ne veut pas le savoir et ne lui propose qu'un hébergement mutualisé. Cette situation peut entraîner un conflit entre l'équipe projet et l'équipe exploitation.


  • Ressources communes. Dans de nombreuses situations les équipes doivent partager les ressources. Plus la ressource est rare dans l'organisation, plus les risques de situation de conflit sont grands. Par exemple, dans une entreprise qui fonctionne beaucoup en mode projet, la rareté des ressources conduit à un conflit car chaque équipe projet a besoin des mêmes ressources (compétences, budgets,..) que les autres qui poursuivent leurs propres objectifs.


  • Différences d'objectifs. Très souvent, la possibilité de conflit augmente considérablement lorsque les services de l’entreprise ont des objectifs différents ou incompatibles. Par exemple, l'objectif d'une Direction administrative et financière est de limiter au maximum les stocks (capital immobilisé qui coûte : stockage, péremption, etc.), tandis que les équipes de production objectif de livrer quelque soit le contexte : ils font donc des stocks tampon, afin de pouvoir parer aux imprévus Dans ce cas, un conflit peut survenir car deux services ont des objectifs différents


Ces conflits organisationnels, bien gérés, supposent le recours, à un moment donné, à un arbitrage. Le principe même d’arbitrage concerne d’abord l’orientation des décisions à prendre, et non le fait de départager deux équipes qui défendent leurs propres idées, par ailleurs certainement utiles. En effet, la justification des décisions ne repose pas sur celle d'une utilité quelconque, car la quantité de choses utiles à faire est infinie, alors que les ressources pour les faire – en temps, en argent, en matériel, en hommes… – sont finies. Il s'agit donc d'arbitrer en faveur des actions "les plus utiles", en fonction des ressources à allouer et d’objectifs supérieurs à ceux des équipes en attente de la décision. L'arbitrage repose ainsi sur la transformation d'un débat essentiellement local voire subjectif – chacun des représentants des équipes défendant sa propre idée, son propre projet – en un consensus éclairé par une règle objective antérieure et supérieure au débat lui-même, et dont le dirigeant est censé être le garant. Elle s'appuie donc sur un équilibre entre la subjectivité et l’objectivité. La subjectivité pousse toujours chacun à préférer spontanément son propre arbitraire à celui de la règle commune. Le passage par la phase d'arbitrage implique la prise de conscience des arguments de la partie adverse et ramène chaque acteur à une position rationnelle permettant une communauté d'intention, sans laquelle il n’existe pas d’intérêt commun de l’entreprise. L’arbitrage renforce la coopération :

Savoir qu'il existe une instance d'arbitrage dédramatise le conflit.

Lorsque la procédure est établie, partagée et comprise par tous, les managers du niveau supérieur deviennent les garants du bien commun de l'entreprise. Ils sont considérés comme tels par les différentes parties prenantes. Lorsque l'orientation est prise et l'arbitrage rendu, Il n'y a pas d'amertume du côté de la partie prenante qui a « perdu ».

En définitive, il faut concevoir l’arbitrage comme un véritable acte stratégique et non comme une réaction du supérieur hiérarchique départageant deux intérêts particuliers.


Malheureusement, L’arbitrage n'est pas souvent utilisé parce qu’il est considéré comme un échec. Les dirigeants considère que les collaborateurs doivent se mettre d'accord entre eux. J'ai souvent entendu des directeurs de business units ou de département se plaindre d'être obligés de jouer les instituteurs dans la cour de récré. C'est à la fois mal comprendre les ressorts psychologiques amenant à un arbitrage (s’il y a arbitrage, le message subliminal que reçoivent les équipes est que le conflit est admis dans la mesure où il est bien géré) et ne pas considérer l'utilité organisationnel de cette instance de régulation. On aboutit parfois à la production d’une solution totalement bancale par compromis sur des objectifs inconciliables. Les acteurs sont contraints au consensus mou ; il n’existe pas d’instance de régulation permettant un arbitrage parce que les conflits ouverts ne sont pas admis. Ou l'objectif du dirigeant n'est plus de trouver une solution optimale dans le contexte mais de calmer des équipes en opposition. La qualité de la décision en pâtit. Christian Morel rapporte ainsi un exemple dramatique d’absence d’arbitrage. Un conflit mal réglé entre différentes parties prenantes sur les joints des boosters (moteurs d’appoint) de la navette Challenger ont débouché sur un compromis boiteux sans aucun arbitrage remonté au niveau hiérarchique supérieur qui intervenait dans la procédure finale de lancement. Les dirigeants ont appuyé sur le bouton sans se douter qu’un compromis boiteux avait été conclu en dessous de leur niveau (1)…


L’arbitrage n’est pas un échec. Il est au contraire un acte de responsabilité managériale, un levier essentiel de la régulation des tensions inhérentes à toute organisation complexe. S’il est parfois vécu comme une intervention autoritaire ou infantilisante, c’est souvent parce qu’on l’associe à une vision punitive ou descendante du pouvoir, au lieu de le considérer pour ce qu’il est réellement : un processus structurant, qui permet de dépasser les intérêts particuliers au nom d’un intérêt supérieur partagé.

Dans les environnements interconnectés et sous contrainte, refuser d’arbitrer, c’est prendre le risque d’une perte de sens, d’une dilution des responsabilités, ou pire encore, de décisions incohérentes issues de compromis mous, aux effets délétères sur la performance et la motivation des équipes. Loin d'être une faiblesse, l’arbitrage est une manifestation forte du rôle du dirigeant comme garant du cap, de la cohérence stratégique et de la justice organisationnelle.

Accepter l’arbitrage, c’est aussi accepter le conflit comme révélateur d’enjeux, comme opportunité d’alignement et de clarification. Il revient aux dirigeants de donner à cette pratique ses lettres de noblesse : en installant des espaces légitimes pour arbitrer, en clarifiant les critères de décision, et en assurant un suivi respectueux des parties concernées. C’est ainsi que l’arbitrage devient un outil de gouvernance mature, une ressource collective au service d’une organisation vivante, lucide et capable de progresser dans la complexité.



Erwan Hernot, Associé ClavaConsulting, un membre de ScoRH


(1) Morel, Christian. Les décisions absurdes (Tome 1). Sociologie des erreurs radicales et persistantes

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