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  • Photo du rédacteurErwan Hernot

Gestion de projet : scène d'un comité de pilotage ordinaire


Comité de pilotage d'un projet
Gestion de projet : les lacunes d'un comité de pilotage

Nous sommes au siège d'une Business Unit (BU) d'un groupe du CAC 40. Une petite troupe de cadres supérieurs s'assoit autour d'une table de conseil d'administration dans une salle contiguëe aux bureaux de la DG, tandis qu'une cheffe de projet et quelques membres de son équipe s'affairent à porter les dernières modifications sur les diapositives qui vont être projetées. Tou(te)s sont là pour le comité mensuel de pilotage du projet dont elle a la charge. La cheffe de projet jauge son audience. Elle y retrouve des visages familiers mais seule une moitié d'entre eux est vraiment impliquée par le projet qu'elle va dérouler ; l'autre moitié est simplement là parce que sa propre hiérarchie lui a demandé de venir. Ils ne s'intéressent pas à son projet. Mais ils font d'autant plus acte de présence que ce comité accueille le DAF et la DG de la BU. Elle soupire. Sa propre équipe a passé la majeure partie de la semaine à préparer cette présentation sur la base de la liste de rapports et de graphiques requise par le PMO (1) de la BU. La présentation démarre. Elle déroule des centaines de tâches terminées et une quarantaine qui reste encore à la traîne. Elle montre des tableaux qui mettent en évidence les flux incessants de demandes de modifications émanant du client du projet. Comme elle n'est pas née de la dernière pluie, elle tient en parallèle une lliste précise des risques croissants qui accompagnent ces flux changeants. Parfois un des membres de son équipe complète son propos quand il faut rentrer dans certains détails permettant de crédibiliser son message. Voulant faire preuve de leadership, elle tente de mimer l'enthousiasme qu'elle éprouve en montrant la progression du projet jusqu'à présent. Le client ne dit rien ; elle sait qu'il est anxieux et qu'il se demande si les autres acteurs autour de la table comprennent réellement l'ampleur des changements que va provoquer le système de CRM (2) que porte ce projet. Rassemblant son courage, la cheffe de projet termine sa présentation de 10 minutes en signalant les problèmes les plus immédiats et les plus importants. Elle tente prudemment de livrer quelques prédictions pour mobiliser ses interlocuteurs sur l'échange qui suivra sa présentation. Le DAF de la business unit se lance immédiatement. Il analyse très vite les graphiques et, sans aucune considération pour le travail effectué, lance 3 questions : «En quoi ce projet modifie-t-il de façon significative, la contribution de la BU au chiffre d'affaires du groupe ? Le projet sera-t-il livré avant de devoir annoncer les résultats trimestriels ? A-t-on une idée claire de la marge qui sera dégagée ? » La cheffe de projet inspire un grand coup : elle se sait - déjà - condamnée. Mais la directrice générale de la BU, ajoute : « Avec les modifications dont vous parlez, le retour sur investissement est-il toujours maintenu au niveau initialement communiqué au groupe ? » La cheffe de projet ressent une immense fatigue ; elle n'a aucune idée de la marge, ni des prévisions de ventes avec le nouveau système dont le projet va accoucher, ni de la date d'échéance des prévisions de bénéfices, sans parler des règles de consolidation concernant la comptabilisation des revenus au niveau groupe. Quand elle a pris les rênes du projet, il avait déjà été légitimé d'un point de vue financier. Ce qu'elle sait c'est que le client toujours silencieux hurlera si les modifications promises ne sont pas exécutées. Le comble c'est que la DG de la BU les a approuvées, il y a deux mois dans un arbitrage, certaines d’entre elles contre son avis de cheffe de projet. Elle cherche des yeux son sponsor mais, comme d'habitude, il n'est pas présent à la réunion. La responsable du PMO acquiesce aux questions sans offrir aucune aide. Le directeur financier et la directrice générale sont agacés de devoir attendre les réponses. La seconde se tourne vers le responsable du PMO et déclare : « Ce sont quand même des questions de base auxquelles tous les chefs de projet devraient être capables de répondre. Appelez moi Caroline [responsable du Contrôle de gestion attachée au PMO] pour mettre les choses au clair ». Le responsable du PMO s'exécute. La cheffe de projet et son équipe sont invitées à sortir de la salle. Du point de vue de la Direction de la BU, les données présentées n'étaient pas pertinentes et ils ont perdu leur temps.


Ce récit vous semble assez banal ? Probablement et c'est bien le problème. Il concentre en effet plusieurs lacunes, erreurs, négligences du mode projet. On parle pourtant de projet stratégique pour la BU en question. Le reste de ce papier va les décoder… Je me contenterai de pointer des débuts de solution. Il me faudrait plutôt un livre entier pour les développer ;)


D'où vient le manque d'implication des parties prenantes ?

Le sponsor du projet est absent. Il n'a probablement pas été lui-même formé à la mission de parrainage qu'il est sensé remplir. Dans le meilleur des cas, il n'a pas conscience de l'importance de ce rôle. Dans le pire, il n'est pas compétent. De leur coté, les cadres supérieurs semblent peu impliqués dans l'avancement du projet. Ce manque d'implication suggère un échec de la communication cheffe de projet / parties prenantes tout au long du cycle de vie du projet. Les causes potentielles pourraient inclure au préalable un manque d'appétence de la cheffe de projet pour ce qu'elle appelle, peut-être avec un certain dédain, de la « politique ». Il semble y avoir un nombre trop important et finalement peu pertinent d'invités à ce type de comité. Ceci tient à une une analyse inadéquate des parties prenantes (qui est partie prenante, quels enjeux, quel pouvoir) et une planification sommaire de leur implication, une incapacité à aligner les objectifs du projet avec les objectifs de l'entreprise soit par manque de temps, soit parce que normalement « c'est évident donc tout le monde doit le comprendre. » Ou encore de mauvaises stratégies de communication qui sont en fait de simples processus à descendre des messages de temps en temps. Il y a fort à parier que la cheffe de projet ne fait aucune diplomatie de couloir, afin de tester ses propositions et de connaître les demandes des parties prenantes voire de diagnostiquer l'évolution de leur position avant le comité de pilotage. Elle n'a ainsi aucun allié quand elle démarre ledit comité.

Amorce de solutions : échanges entre la cheffe de projet, le client, le sponsor qui agit en "officier de liaison" avec le comité de direction de l'entreprise pour aligner les objectifs de l’entreprise et du projet (mise à jour pour réaligner si modifications en cours de projet), mise en œuvre d'un plan qui identifie les principales parties prenantes, leurs enjeux et leurs préférences en matière de communication. Seule la rencontre permet l'échange qui permet l'implication qui peut garantir l'adhésion à l'objectif fondamental du projet. Description de rôle du sponsor assez formalisée afin de faire prendre conscience de l'importance du rôle en question, des pré-requis et des actions qu'il suppose.


Pourquoi cette inadéquation entre les attentes des parties prenantes à la réunion et celles de la cheffe de projet ?

La présentation de la cheffe de projet se porte principalement sur le respect des indicateurs de reporting et des graphiques requis par le PMO. Ce dernier a probablement standardisé ses demandes et les a multipliées puisqu'ils sont si faciles à produire dans un environnement professionnel où tout est traçable. Sans les négliger, la cheffe de projet aurait mieux fait de les négocier dès le départ en démontrant l'inanité de certains d'entre eux afin de mieux se concentrer sur les préoccupations stratégiques ou les résultats commerciaux. Lorsque le DAF et la DG soulèvent des questions sur l'anticipation des revenus, le retour sur investissement du projet, les prévisions de ventes et le maintien des marges, la cheffe de projet semble avoir une compréhension limitée du contexte commercial et des implications financières, ce qui met en évidence son ignorance du contexte dans lequel s'inscrit le projet. Cela indique un décalage potentiel entre les mesures du projet et les objectifs organisationnels. Les causes peuvent être multiples : est-on certain que la gouvernance de ce projet est bien maîtrisée ? Est-ce le cas par exemple de la définition des rôles et des responsabilités des différentes parties prenantes, telles que chef de projet, équipe projet, sponsor et autres parties prenantes ? Les différentes réunions du mode projet ont-elles été spécifiées, décrites de façon claire ? Il y a aussi fort à parier qu'entre la cheffe de projet et les équipes opérationnelles qu'il s'agisse de la gestion financière ou de la stratégie commerciale, chacun reste dans sa ligne de nage. La coopération est inexistante. Il y a ensuite la possible erreur de casting de la cheffe de projet. Par ex., un profil extrêmement pointu en compétences et coordination techniques mais trop peu versé dans les autres aspects et, par conséquent, incapable de "stabiliser" le projet d'un client qui a des requêtes de modifications permanentes au nom du sacro-saint ROI, de demandes des clients externes, etc. parce qu'elle n'a aucun repère à cet égard. Sur un projet de type CRM, qui va nécessairement bousculer beaucoup de façons de travailler, la capacité du chef de projet à dire "non" est au moins aussi importante que sa capacité à comprendre les problématiques techniques.

Amorce de solutions : en amont du projet, puis autant que nécessaire durant sa mise en œuvre, échanges, discussions pour aboutir à une compréhension commune

1) de la gouvernance du projet. « Ce n'est quand même pas le premier projet que l'on fait ! » Comme tout le monde croit connaître les rôle et les responsabilités de soi-même et des autres, les structures de décision ne sont jamais remises en question.

2) des problèmes et une appréhension partagée de l’orientation du projet. Dans ce cas, les plans doivent être examinés sous 3 angles : celui du dirigeant, celui de l’équipe projet et celui de l’utilisateur final. Sans cette approche, la valeur se perd dans les écarts qui se développent entre les logiques des différentes fonctions.

Pour parler le même langage, les acteurs du projet doivent être capables de relier la logique de leur métier à l'objectif ultime du projet (logique business). Ainsi, les chefs de projet doivent développer leurs connaissances commerciales et leur compréhension de ce qui crée de la valeur. Cet effort ne se traduit pas simplement avec des rapports d'indicateurs ou des présentations prédéfinies mais grâce à une compréhension des implications des différents problèmes et de la façon dont ils affectent l'entreprise. Ils doivent être en mesure de se hisser au niveau stratégique et de sortir ainsi de leurs projets pour pouvoir rendre compte objectivement de leur état. Leur objectif n'est, en effet, pas de promouvoir leur projet ou de défendre une façon de le mener. Leur livrable est une valeur pour le client et pour l'entreprise. Normalement, à ce niveau (l'entreprise), les accord sont plus faciles à trouver. Ainsi débarrassés de leurs œillères, les chefs de projet sont plus responsables et capables de collaborer avec les autres parce qu'ils ont saisi la globalité et la finalité du projet. Mais pour mettre en œuvre une autre façon de gérer les projets et de les doter en personnel, certains acteurs doivent changer leur approche. Il ne s’agit plus d’expertise technique, mais de leadership, évidemment renforcé de connaissances de base du domaine dans lequel évolue le projet. A expertise technique équivalente, ce sont la personnalité et les compétences "humaines" (soft skills) du chef de projet, qui deviennent plus importantes.


Et quid des risques ?

Si la gestion des risques semble précise, la chef de projet ne semble pas en l'exploiter. On retrouve là toute l'ambiguïté de ce concept et de sa déclinaison pratique. Les chefs de projet oscillent entre un rôle d'alerte qui peut parfois les desservir, parce qu'on les accuse de défaitisme et un simple rôle de comptable des risques qui leur sert de couverture minimale en cas de problème. Le comité de pilotage est pourtant le lieu par excellence, où il faut développer une veille active des risques et montrer en quoi les plus menaçants sont effectivement bien identifiés et que les parades pour les "tuer" ou les contrôler (plans d'atténuation) sont réellement enclenchées. Il est très possible que dans ce cas, la cheffe de projet se soit contentée d'inventorier elle-même quelques risques déduits des changements requis par le client, sans pour autant avoir mené une véritable analyse de risques avec son équipe renforcée d'autres parties prenantes. L'insuffisance de ce travail apparaitra si l'un des risques se réalise. Qui dit risque insuffisamment identifié, dit plans d'urgence probablement pas prévus.

Amorce de solutions : la phase d'identification des risques devrait pouvoir se faire avec la totalité des parties prenantes y compris externes (fournisseur CRM par exemple). Compte tenu du projet, elle devrait porter aussi sur les zones grises, c'est-à-dire zones de coopération interfonctionnelle qui sont peu définies : entre deux silos, personne n'est responsable. Plutôt que de se contenter d'additionner les risques, la cheffe de projet et son équipe devraient refaire régulièrement une analyse approfondie à des points-clés du déroulement du projet, afin de valider que le cocktail global n'aboutit pas à de nouveaux risques, totalement négligés.


Ce comité de pilotage recèle tous les ingrédients pour que le projet soit un échec sans forcément qu'une grande crise le signale. On peut aller tranquillement à la catastrophe en combinant les éléments suivants : un engagement inadéquat des parties prenantes, un désalignement entre les paramètres du projet et les objectifs stratégiques, une gestion des risques inefficace et une compréhension limitée des implications financières et commerciales du projet. Les pistes de solutions proposées tiennent finalement à une condition fondamentale : que tout le monde comprenne à peu près la même chose au même moment. La difficulté, c'est que la représentation du travail en mode projet lui-même incite tout de suite à l'action sans véritable réflexion voire sans remise en question de façons de faire compte tenu de la situation. Food for thought ;)



Erwan Hernot, ClavaConsulting, Membre de ScoRH



(1) PMO : PMO est l'acronyme de Project Management Office, qui désigne une entité au sein d'une organisation responsable de superviser et de soutenir la gestion de projets. Le PMO peut fournir divers services, tels que la standardisation des processus de gestion de projet, la gestion des ressources, le suivi des progrès, la gestion des risques et la communication entre les parties prenantes. Son objectif principal est d'améliorer l'efficacité et la cohérence des pratiques de gestion de projet au sein de l'organisation.

(2) CRM : CRM est l'acronyme de Customer Relationship Management, qui désigne une approche commerciale axée sur la gestion et l'optimisation des relations avec les clients. Un système CRM, souvent représenté par un logiciel, permet de collecter, d'organiser et d'analyser les informations sur les clients et les interactions avec eux. L'objectif principal du CRM est de favoriser des relations durables et mutuellement bénéfiques avec les clients, en fournissant un meilleur service, en personnalisant les interactions et en augmentant la satisfaction client.

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