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  • Photo du rédacteurErwan Hernot

Déclinaison des objectifs : les dangers du mode hybride


Mission et vision, boussoles en hybride
Mission et vision, boussoles en hybride

Le travail en mode hybride a émergé et s'est installé. Je l'ai déjà traité ICI, ICI, encore ICI, ICI aussi et . Depuis, la capacité à organiser cette hybridité est perçue comme facteur de performance dans le meilleur des cas ou un facteur de limitation des dégâts, dans le pire. Pour le travail non posté, la performance ne résulte évidemment pas seulement d'une organisation 3/2 (3 jours sur le lieu de travail et 2 jours à distance). Elle tient bien plus à la compréhension puis l'interprétation de la stratégie et des objectifs dans la chaîne hiérarchique. C'est justement ce que le mode hybride met en danger.


Posons le décor. La chaîne commence avec les dirigeants et se termine avec les employés situés au niveau le plus bas… qui eux, réalisent la tâche réelle concrétisant les niveaux ultimes d'une double cascade des objectifs et de la stratégie. Dans une économie de la connaissance, la qualité de l'exécution suppose que ces objectifs et cette stratégie, soient partagés, connus et interprétés dans la même logique sur toute la chaîne hiérarchique (j'ai détaillé l'alignement vertical et horizontal ICI.) Or, leur déclinaison n'est pas un simple processus arithmétique de division du travail. Elle suppose une compréhension plutôt que le respect d'instructions, dans la mesure où c'est elle qui permet les éventuelles corrections, initiées par le manager, en cours de route. C'est plus facile 1. quand l'objectif concrétise la mission (maintenant) et construit la vision (demain). Par ex. chez Decathlon, 78 000 collaborateurs doivent faire vivre au quotidien la mission (concevoir et vendre des équipements sportifs de bonne qualité) afin de rendre les sports accessibles au plus grand nombre (vision). 2. quand l'objectif est partagé par tout le collectif qui fait alors référence aux mêmes données et informations s'il y a des discussions notamment sur les priorités.


Il ne s'agit pas seulement comprendre la réalité technique de l'objectif. Ce n'est pas non plus un effort cognitif en sens unique : aux managers et aux collaborateurs de comprendre la volonté de la direction. C'est un effort dans les deux sens : direction —> managers /équipes et managers / équipes —> direction.

  • Pour saisir la réalité, une direction se connecte normalement avec tous ses acteurs clés : employés, acteurs externes (par ex. régulateurs, fournisseurs et bien sûr, clients). En effet, dotés de perspectives différentes, ces acteurs définissent la réalité différemment. Les dirigeants doivent être suffisamment proches pour comprendre leurs attentes et les croyances qui les touchent émotionnellement. Si nous ne savons pas ce que les autres attendent de nous, ils nous mesureront quand même par rapport aux attentes qu'ils ont en tête sans qu'on ait la moindre idée de cet étalon de mesure. Étant donné que chacune des parties prenantes de l'entreprise aura un impact significatif sur son avenir, les dirigeants intègrent d'une façon ou d'une autre, leurs points de vue. Ils écoutent à la fois leurs conseillers les plus proches ET directement les employés sur le terrain. Ils obtiennent ainsi non pas une image mais une tendance dans laquelle ils peuvent alors manœuvrer. La connaissance qu'ils acquièrent leur permet de forger un cadre (c'est à dire des limites) et des contraintes acceptables, dans lesquelles les managers et les équipes vont s'organiser.

  • Coté managers, c''est un travail d'interprétation dans leur propre contexte et métiers. Ce travail démarre avec des questions de fond : sur quelles hypothèses, les objectifs qui leur sont présentés, sont-ils basés ? A quelles valeurs font-ils appel ? Que disent-t-il de la vision du monde ainsi promue ? Ce dialogue façonne une compréhension commune direction/managers, de l'environnement et de la place de l'entreprise dans celui-ci. Sans celle-ci, il est pratiquement impossible de décliner les objectifs et partant, les tactiques, que tous les équipiers peuvent comprendre et soutenir. D'ailleurs, les dirigeants qui intègrent les équipes dans leur réflexion, conçoivent la stratégie comme une feuille de route et les objectifs comme des jalons. C'est un projet que tout le monde aide à façonner. Les stratégies ne prennent de valeur que lorsque des acteurs engagés leur insufflent de l'énergie. La stratégie est un effort collectif qui les implique à tous les niveaux de l'entreprise. Sa formation nécessite l'implication de ceux qui sont les plus proches des métiers et possèdent les connaissances et l'expertise ad-hoc. Ensuite, la transmission des décisions prises par la direction est plus efficacement relayée parce que les équipes ont une compréhension partagée de la façon dont les choses fonctionnent. Ils raisonnent à partir des mêmes hypothèses issues d’une base commune d'informations et de données. Cela permet d’avancer avec plus de clarté et d'éviter de s'enliser après la fixation des objectifs, dans des débats ou des conflits inutiles.


Le mode hybride met en risque ce travail de métabolisation :


En hybride, les échanges informels qui favorisent la compréhension mutuelle des objectifs et des priorités sont limités, ce qui conduit à des malentendus ou à des divergences dans l'interprétation des objectifs. L'hybride accélère le passage à une logique de travail axée majoritairement sur les résultats plutôt que sur activités (menées pour les atteindre). Les modes de contrôle évoluent dans le même sens du fait de l'absence physique : d’un contrôle par les moyens (en présentiel, on pose plus facilement des questions sur le "comment vous faites ?") à un contrôle par les résultats. Ce qui suppose une découverte beaucoup plus approfondie des objectifs en amont, une interprétation commune de la stratégie et une analyse des résultats en aval. Peu de managers en ont pris la mesure, c'est-à-dire qu'il n'y consacrent pas suffisamment de temps. Lorsqu'une direction lance une nouvelle série d'objectifs, elle ménage donc un temps pour les partager avec les managers. En hybride, plus encore qu'en environnement traditionnel (100 % présentiel), elle prend soin de formuler les objectifs généraux, surtout en terme d'attentes et non pas d'exigences. Les attentes sont communiquées sous forme de normes ou d’idéaux pour guider la performance (elles puisent dans la vision). D'où l'importance de partager cette vision. Les exigences sont, elles, communiquées de façon plus directe. Elles sont plus spécifiques que les attentes et véhiculent souvent un sentiment d’urgence ou d’obligation. Elles s'appuient sur la mission. La plupart des collaborateurs sont plus sensibles aux attentes parce que ça leur ménage une autonomie plus forte, ça rend la créativité possible et par conséquent, la valorisation individuelle probable. Ils sont en revanche moins appétents aux exigences. Or, c'est ce qui matérialise la majeure partie des objectifs aujourd'hui. Dans la pratique, les managers devraient utiliser une combinaison d’attentes et d’exigences, adaptant leur approche en fonction de la situation, des membres de l’équipe et de la nature de la tâche à accomplir. Mais ce raisonnement induit que les dirigeants laissent une large marge de manœuvre aux managers pour raisonner à partir des attentes et ainsi co-créer leurs objectifs, concevoir leurs tactiques dans le cadre stratégique donné.

Or, dans les grandes entreprises, la distance hiérarchique entre les différentes strates pose problème. Les cycles de décision sont longs et l'autorité décisionnelle n'est pas claire. Elle rend plus difficile la communication entre le niveau du haut et les niveaux d'en bas, compliquant la participation à l'élaboration des tactiques voire tout simplement à la compréhension de la stratégie. La difficulté augmente avec la rareté des face à face. En travaillant à distance, la communication entre les dirigeants, les managers et les équipes devient moins immédiate et plus asynchrone. Les feedbacks improvisés en temps réel sont précieux. Mais les informations prennent plus de temps à être transmises et peuvent être perdues ou mal interprétées en cours de route. Si les discussions formelles à propos des objectifs et de la stratégie existent toujours, les échanges informels (quelques jours, après l'échange formel, le temps nécessaire pour métaboliser) qui permettent de préciser des éléments ou d'éclaircir des points obscurs sont beaucoup moins faciles à trouver.

En environnement hybride, le lien qui réunit le collaborateur à l'entreprise devient plus transactionnel. C'est un facteur aggravant sur des tendances centrifuges d'une organisation, quelque qu'elle soit. Séparé de ses collègues, hors des murs de l'entreprise, le collaborateur se concentre sur sa tâche sans prendre en compte les logiques métier des autres. Sans rappel régulier de la mission à laquelle il pourrait se rattacher et de la vision dans laquelle il pourrait se projeter, il n'arbitre pas forcément au bénéfice du collectif. Comme il partage moins de choses avec ce collectif, il a plus de mal à comprendre la stratégie et à considérer les objectifs de l'entreprise ("Moi, je fais mon boulot"). Or, il lui faut faire l'effort d'identifier les interdépendances des activités et des rôles quand d'autres comptent sur lui pour atteindre leurs propres objectifs précis à des moments précis afin d'effectuer leurs tâches. Ces nécessités de l’interdépendance constituent une base des conflits. Ce sont ensuite les différences d’objectifs ou de perception de la réalité qui en assurent le déclenchement. Car les objectifs de l'entreprise ne sont qu'une formule : ce sont d'abord ceux des dirigeants. Les salariés ne poursuivent pas, d'emblée, les mêmes. Le caractère limité des ressources internes attise la mise en concurrence des groupes pour leur allocation : raison de plus pour partager entre gens de professions différentes. Ces discussions exploratoires permettent d'identifier tout problème de priorité ou de calendrier entre les différentes équipes/métiers/départements/etc. Sauf que ces échanges supposent une organisation beaucoup moins silotée. Malheureusement, l'hybride aggrave la structure en silos de l'entreprise.


Que peut-on faire, sachant que la formule du télétravail en 3/2 ne changera pas de sitôt ? Que le contexte VUCA est aussi là pour rester ? Pendant des décennies, les entreprises se sont concentrées sur la création de valeur pour les actionnaires, pas formidablement mobilisateur pour les autres parties prenantes. On le voit avec les chiffres sur les salariés désengagés. Si elles veulent se développer en environnement hybride, elles seront centrées sur leur mission et leur vision. Elles demeurent capables d'aligner et de générer un sens supérieur commun, qui réussira à attirer les clients et les talents.



 Erwan Hernot, ClavaConsulting, membre de SCORH, ehernot@clavaconsulting.com


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