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Photo du rédacteurErwan Hernot

Changer, c'est d'abord rendre l'entreprise apprenante


L'entreprise apprenante reste à concrétiser
L'entreprise apprend-elle ?

On parle de changement partout dans l'entreprise. Pourtant, forcer les gens à changer est quasiment impossible. Pour que le changement advienne, il faut "remonter" sa mécanique dans l'autre sens : changer suppose de s'adapter et s'adapter suppose d'apprendre. L'apprentissage met en mouvement : il remet en question des certitudes (voir ICI) et comble des lacunes. Son apport est d'autant plus puissant qu'il est vécu au niveau de l'entreprise. C'est la formule de l'entreprise apprenante. Quelles sont les conditions pour rendre l'entreprise apprenante si on essaie d'être concret ? C'est la question à laquelle tente de répondre ce papier. Elle est d'autant moins évidente que l'entreprise telle qu'elle a été pensée depuis plus d'un siècle ne favorise pas l'apprentissage.


Si on part du principe que l'entreprise est un écosystème, alors chaque élément n'y joue un rôle que coordonné aux autres : leadership, culture, processus, structure, valeurs et compétences permettent ensemble l'apprentissage organisationnel. A elle seule, la proclamation d'une dimension apprenante de l'entreprise n'est évidemment pas suffisante pour mobiliser les acteurs qui la composent. Or l’entreprise n'est pas d'emblée structurée comme apprenante. On vient même de loin : le taylorisme qui a inspiré la majorité des organisations, n’a pas été conçu pour faciliter l’apprentissage des salariés. Son objectif principal était d’abord d'optimiser l’efficacité et la productivité grâce à la normalisation des tâches et à la division du travail en décomposant les tâches en étapes simples et répétitives facilement mesurées. Ce qui limitait l’exposition des employés aux différents aspects de l’entreprise et réduisait leur capacité à développer un large éventail de compétences. Cette approche laissait peu de place à la créativité, à la pensée critique. Dans un tel système, la direction prenait toutes les décisions sur la manière dont le travail devait être effectué, les travailleurs exécutant simplement ces instructions. Cette approche descendante a étouffé l'autonomie et l'initiative des employés, entravant leurs possibilités d'apprendre et de se développer.

Bien qu'officiellement dépassé, un héritage du taylorisme persiste : il faut le prendre en compte si on souhaite promouvoir l’apprentissage organisationnel. Les directions accordent toujours la plus grande importance à l'efficacité et à la productivité généralement mesurées dans une perspective de court terme. De nombreuses organisations continuent d’utiliser des indicateurs de performance qui donnent la priorité à ces aspects souvent au détriment du développement moyen/long terme des employés. L'accent est mis sur les résultats trimestriels et les objectifs de performance. Cette exigence suppose des structures organisationnelles contraignantes pour les acteurs. On cherche moins leur adhésion (ça prend du temps) que la conformité à ce qu'on leur demande. Or, plus la structure organisationnelle est forte et moins les acteurs apprennent, quelque soit leur volonté de départ. La multiplication du nombre de niveaux hiérarchiques construit autant de territoires jalousement défendus par leurs gardiens (responsables de service, départements…) Elle limite les possibilités pour chaque acteur de s'aventurer hors de sa zone de confort et ainsi d'apprendre. Elle limite encore les délégations de responsabilités (le territoire est parfois petit) et l'apprentissage potentiel qu'ils pourraient générer. La prise de décision demeure concentrée au sommet. Cette centralisation limite le flux de connaissances et restreint les opportunités pour les employés de niveau inférieur d'apprendre et de contribuer à autre chose que le poste auquel ils sont assignés. Les descriptions de poste restent en effet rigides, avec des responsabilités étroitement définies. Cette rigidité empêche les salariés d’explorer différentes fonctions et d’acquérir de nouvelles compétences.

Parler d’apprentissage organisationnel semble une gageure dans un tel environnement. Pourtant la qualité apprenante de l'entreprise n'est plus une option dans un monde VICA (1). Pour l'acquérir, les dirigeants interviennent d'abord au niveau stratégique.Ils intègrent la nécessité de l'apprentissage dans la vision et les valeurs de l'entreprise. Ils s'assurent qu'il est aligné sur les objectifs stratégiques. Cela garantit que les compétences développées sont pertinentes et utiles au développement de l’entreprise. L'investissement dans l’apprentissage et le développement des compétences devrait plus être liée à la conjoncture de l'entreprise qu'à l'obligation légale quand elle existe. Au delà des moments formels d'apprentissage (formations sur un thème donné, séminaires d'intégration,…) , la création d'opportunités d'apprentissage participe de cette logique. Par ex. la collaboration interfonctionnelle assouplit les silos. Contrairement à l'héritage taylorien, les travaux transverses aident les employés à se familiariser avec différentes parties de l'entreprise : une bonne façon de voir un problème sous plusieurs angles. Dans tous les cas, les dirigeants sont les premiers vecteurs de propagation de ce message en modélisant le comportement (questionnement ouvert, écoute, empathie, considération de plusieurs options et recherche de points de vue opposés dans un échange) qu'ils souhaitent voir apparaître chez les employés. Cela implique de participer activement à des activités d’apprentissage, comme assister à des ateliers, suivre des cours ou lire beaucoup et partager ses lectures avec ses managers ; installer le mentorat (les employés expérimentés partagent leurs connaissances et leurs compétences) et y prendre sa part ; inciter à créer des communautés de pratique pour partager des idées, résoudre des problèmes en collaboration et apprendre les uns des autres. Si le dirigeant s'inclut dans cet apprentissage et s'engage dans son propre développement, c'est un exemple probant pour l’ensemble de l'entreprise. Facilitateur de l'apprentissage au quotidien, il adopte avec ses managers un raisonnement non linéaire, (2) qui force ceux-ci à penser de manière créative en abordant les choses sous un angle différent, qui remet en question les modèles mentaux habituels de l'entreprise. L'important est moins la réponse à un problème que la façon de raisonner pour le résoudre. Il ménage un environnement sécurisant pour l’expérimentation et encourage ainsi l'innovation et la prise de risques : les employés se sentent en sécurité pour expérimenter, prendre des risques et … apprendre de leurs échecs dont il explique qu'il ne faut pas avoir peur. Il encourage les feed-backs (hiérarchiques vers N-1 mais aussi dans l'autre sens ;), évaluations par les pairs). Surtout, il agit en conséquence en apportant des améliorations aux pratiques organisationnelles en fonction des commentaires recueillis.

Cependant, cette exemplarité du dirigeant ne suffit pas. Elle se complète d'actions, émanant de tout le corps encadrant de l'entreprise, qui valorisent et récompensent l’apprentissage : accorder aux employés le temps de s’engager dans ces activités, reconnaître (quel manager débriefe un collaborateur rentrant de formation par ex. ?) et célébrer les acquis par le biais de récompenses, de remerciements, intégrer l'apprentissage aux évaluations de performances, encourager les managers à discuter de l'emboîtement d'objectifs d’apprentissage dans les objectifs opérationnels (ce que j'appelle des missions apprenantes) puis des réalisations lors des éventuelles révisions d'objectifs.

Cet accent mis sur les dirigeants et managers ne doit pas faire oublier le principal opérateur de l'apprentissage "officiel" aujourd'hui : la DRH. La mue à entreprendre n'est pas moins radicale que celle détaillée précédemment pour les encadrants. Beaucoup d'entreprises l'ont au moins démarrée, certaines l'ont déjà menée à bien. La DRH doit mieux démontrer la variété de sa valeur ajoutée. Longtemps, elle s'est contentée de sa zone de confort que personne ne lui contestait : les relations sociales et le droit. Ce n'est pas le marchepied le plus évident pour se positionner en interlocuteur stratégique de la direction générale ou des pairs du comité de direction. La politique de formation est-elle - justement - conçue pour un usage stratégique ? La mention du sigle BP (Business Partner) qualifiant HR est un début. La DRH de l'entreprise apprenante est en effet consciente que la politique de formation n'est pas une logique de catalogue dans lequel un manager irait faire ses courses pour prolonger la paix sociale ("Dites moi quelles sont les formations disponibles pour les commerciaux"). Elle se transforme en partenaire des départements/services dont un directeur pourrait par ex. lui demander : "Compte tenu de votre enquête annuelle en interne sur l'évolution du métier commercial et de vos achats d'études comparatives sur les concurrents, pouvez vous indiquer à Jean Michel ses besoins d'apprentissage actuels et ceux des 2 ans à venir ? Pouvez vous alors recommander des actions de formation ad-hoc ?" Force d'analyse et de propositions, l'équipe RH enclenche ainsi un cercle vertueux. A sa suite, le manager prépare un plan de développement individuel écrit avec chaque membre de l’équipe. Dans ce document, il identifie les compétences (connaissances, aptitudes, valeurs) maîtrisées par le collaborateur et les compare avec (a) ce que son poste et son rôle exige actuellement et (b) ce qu'il exigera à l'avenir. L'écart entre les compétences détenues et celles qui sont nécessaires aujourd'hui et demain, devient la base du plan de l'équipier. Le manager, aidé de l'équipe Développement RH précise ce qui doit être développé et comment cela se fera : missions apprenantes formation présentielles, mentorat, etc. Dans chaque plan, le manager intègre les objectifs ET le projet de carrière de la personne. Les besoins du groupe priment mais plus un manager réussit à y accoler les aspirations d'un membre de l'équipe, mieux c'est : comme l'effort d'apprentissage individuel est important, c'est lui donner les moyens pour se motiver.


En déplaçant ainsi l'accent de l'efficacité et de la normalisation vers l'autonomisation, la collaboration et l'apprentissage continu, dirigeants et managers créent ainsi un environnement dans lequel les employés ont l'autonomie nécessaire pour prendre des décisions et des initiatives. Ces employés responsabilisés sont plus susceptibles de s’engager dans la résolution de problèmes et une réflexion innovante, ce qui favorise un autre état d’esprit. Ils partent de l'hypothèse que leur motivation et leur travail développent leurs propres capacités. Cette approche améliore non seulement la satisfaction et la fidélisation (ils "voient" ou ils savent où ils vont) mais favorise également la réussite de l'entreprise à long terme.


Illustration : jcomb


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Ce papier complète, idéalement, celui que vous venez de lire en rentrant dans le détail d'un outil : l'entretien professionnel.

Ce papier invite à une prospective sur les données ouvertes à tou(te)s dans l'entreprise. L'open data invite à un cercle vertueux d'apprentissage.

Ce papier invitait également à une prospective sur le fait qu'à l'ère numérique, dans laquelle nous sommes maintenant de plein pied, l'agilité et la capacité à apprendre sont clé.

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