« Il n’y a pas d’entreprise apprenante, il y a des individus qui apprennent » (Peter Senge *).
Aux premiers rangs desquels se trouvent les managers.
Mais apprennent-ils au quotidien ?
L’apprentissage au quotidien est tabou car il heurte l’image très valorisée du « leader-par-la-décision-et-l’action ». La posture d’apprentissage est considérée comme une faiblesse. C’est effectivement une vulnérabilité, mais qui permet de progresser. L’environnement du manager est généralement peu bienveillant et donc peu propice à laisser le temps d'apprendre.
La théorie de Carol Dweck est ici intéressante. Pour faire court, elle distingue 2 états d’esprit. L’un limite les capacités d’apprentissage (“fixed mindset”) de l’individu à cause d’une perception de soi versus les autres : “je réussis si les autres échouent, je réussis pour m’imposer, pour impressionner”, bref pour nourrir mon ego et pas pour … apprendre. L’autre état d’esprit renforce au contraire la tendance à apprendre (“growth mindset”). La difficulté devient un challenge pour se remettre en question et accepter sa vulnérabilité : “j’essaie d’entraîner les autres à se développer pour réussir ensemble”.
Combinez le premier état d’esprit à l’excellence individuelle française (“vous êtes les meilleurs”) et vous obtenez un cocktail détonnant. Il ne prédispose pas à poursuivre l’apprentissage. Après tout, le concours d'entrée dans les grandes écoles a tranché. Il ne prédispose pas non plus à faire confiance et à dévoiler ses lacunes pour mieux apprendre des autres. Il prédispose à dominer plutôt qu’à être curieux.
L’exemple des dirigeants n’aide malheureusement pas à donner de bons repères à cet égard. Leur entourage vise d’abord à protéger leur ego pour… se protéger eux-mêmes. Ces courtisans sont toxiques pour l’apprentissage de leur patron. Ce sont souvent les premiers à expliquer que les échecs tiennent d’abord au contexte…
La puissance intellectuelle d’un manager est - heureusement ! - réelle. Elle peut toutefois devenir une barrière si elle n’est pas canalisée. Certes, elle permet de cerner vite un problème. Mais sans le doute, sans l’humilité, elle ne peut en appréhender toute sa complexité. Des raisonnements brillants, on saute vite à la solution séduisante parce qu’intellectuellement irréprochable. Tâtonner, essayer, apprendre, recommencer est moins spectaculaire, et semble une perte de temps.
L’échec est …un échec et pas une opportunité d’apprendre. Il y a ici une mauvaise compréhension du terme. Parlez d’échec à un manager et il imagine le pire. Or, dans certains projets, il vaut mieux essayer et échouer sur des petits périmètres plutôt que de lancer des programmes qui planteront l’entreprise à grande échelle.
L’entreprise apprenante passe par d’abord une redéfinition en profondeur de ce qu’est un leader !
* Peter Senge, The Fifth Discipline, The Art & Practice of The Learning Organization, Deckle Edge, 2008