La confiance est la condition de la vie collective, la base des relations sociales et de toutes les formes d’influence (autres que la contrainte). C’est par la confiance que les individus sont liés les uns aux autres. C'est donc une des conditions d'un fonctionnement optimal de l’entreprise basé sur une collaboration entre ses membres, qui permet plus de fluidité et d'adaptation rapide par un mécanisme de « réduction de la complexité »(1). Par ex. dans les échanges marchands : passer du troc – échange d’objets – à la monnaie – mesure abstraite et universelle – simplifie les échanges économiques. Cette simplification n'est possible, qu'avec la confiance réciproque des acteurs concernés. En théorie, la confiance transforme le management : il s'agit pour le manager de conduire et faire coopérer des acteurs plus libres dans ce monde plus complexe. Il délègue la liberté de décision à des équipes opérationnelles partant du principe que plusieurs cerveaux "connectés" entre eux constituent le meilleur outil pour progresser dans cette complexité. Il enclenche ainsi un cercle vertueux : c'est sur la confiance que se bâtit la coopération ; la coopération renforce à son tour la confiance. Celle-ci dispense alors de se focaliser sur le contrôle des acteurs car un contrôle sur les résultats suffit. Le premier peut se réduire à une simple vigilance. En pratique, la confiance n'est pas le sentiment le plus partagé dans l'entreprise. Elle s'envisage à deux niveaux : individuel (le manager et son équipe) mais aussi organisationnel (le manager et son équipe dans l'entreprise). Même si le manager réussit à l'installer dans son équipe, le second niveau n'est pas gagné. C'est ce que détaille ce papier.
Évacuons d'emblée le concept de confiance généralisée qui repose sur la croyance inconditionnelle des acteurs dans l'efficacité des instances de l'entreprise : ça n'existe pas. Abandonnons aussi les injonctions illusoires du type « faisons-nous confiance !» Sauf dans des cas très précis (vous ne questionnez pas votre confiance à l'équipe de pompiers qui vient sauver votre enfant dans l'urgence), la confiance ne se décrète pas. Partons sur le concept plus réaliste de confiance conditionnelle qui suppose un calcul, une évaluation quasi permanente. Elle se construit dans l'entreprise sur une anticipation rationnelle de l’action d’autrui :
1) La confiance est une attitude adoptée par un individu A envers un autre (B). Cette attitude découle des perceptions, des croyances et des attributions de A à l'égard de B, basées sur ses observations du comportement de B. La confiance envers B reflète une attente ou une conviction que B agira comme A l'avait prévu avec compétence / bienveillance / intégrité.
2) On ne peut pas contrôler ou forcer l’autre partie (B) à répondre à cette attente – c’est-à-dire que la confiance implique une acceptation de A d’être vulnérable et le risque que B ne réponde pas à cette attente.
3) La confiance implique un certain niveau de dépendance de A à l’égard de B, de sorte que les résultats d’un individu sont influencés par l’action d’un autre.
Cette mécanique en 3 points fonctionne dans les deux sens : du manager vers le collaborateurs et du collaborateur vers le manager. Pour qu'un manager génère une attitude qui favorise la confiance de son équipe, cela suppose un alignement entre les niveaux individuel et organisationnel. Le problème, c'est qu'il n'est pas fréquent.
Niveau individuel
Vous vous considérez presque certainement comme digne de confiance. Logique : rien n'est plus fondamental pour votre réussite et votre progression que votre capacité à générer de la confiance. Mais vous est-il déjà venu à l'esprit que vos collaborateurs pourraient ne PAS vous faire confiance en tant que manager ? La question à poser devient : peuvent-ils me faire confiance ? Peuvent-ils compter sur moi pour faire ce qu'il faut ? Je garde volontairement ici le côté vague de la question. C'est ainsi qu'elle est posée, même si elle n'est pas complètement articulée, dans la pensée de vos équipiers. Pour y répondre, il faut partir des sources de ladite confiance et adopter une attitude avec laquelle elle puisse se développer.
Commençons par les sources : la confiance de vos équipiers provient de leur croyance dans vos compétences en tant que manager et votre caractère en tant que personne. Chaque jour, ils examinent vos paroles et actions pour découvrir vos intentions et vos motivations. La façon dont ils travaillent, leur niveau d'implication et/ou d’engagement, leur volonté d’accepter votre influence dépendront en grande partie de ces 2 éléments. Pour le caractère, Il ne s'agit pas d'être aimé. Il ne s’agit pas d’être « gentil ». Il s'agit d'être perçu comme juste, ferme sur les valeurs, fiable et prévisible. Pour les compétences, peu de managers doutent de leur importance mais trop nombreux sont ceux qui les considèrent de manière trop étroite. Ils se concentrent sur le savoir-faire technique, la connaissance des rouages de l’entreprise, alors qu’ils devraient avoir une vision plus large. La compétence signifie que le manager sait quoi faire et comment le faire dans 3 domaines : la compétence technique, la compétence opérationnelle et la compétence politique. La confiance générée augmente au fur et à mesure que le manager démontre sa maîtrise dans ces domaines. Il se crée ainsi une sorte de crédit de confiance qui sera précieux dans les moments difficiles.
Poursuivons avec l'attitude. La confiance réciproque simplifie les échanges de toute nature qui s’établissent entre les personnes. Elle naît de leur capacité à anticiper les réactions des autres. Par ex. plus un manager aura tendance à faire confiance et plus il sera en attente de la réciproque. Il se comportera de manière cohérente dans ses attentes, générant cette confiance. Dans l'autre sens, plus un salarié sera efficace, dans sa façon de remplir son rôle et de satisfaire ses prérequis, plus grande sera la probabilité que son manager s'engage lui-même dans un comportement générant de la confiance, particulièrement sur le partage du contrôle. Le manager a un impact considérable sur l’instauration de la confiance. Ceci tient à sa personnalité. Un manager, peu sûr de ce qu’il est lui-même, ne sait pas ce qu’il peut attendre des autres. Comme il ne se connaît pas suffisamment, il ne sait pas se situer et situer les autres par rapport à un problème donné. Il n'intègre pas l'idée que le leadership consiste à être présent aux autres et à lui-même afin de faire vivre des principes managériaux : prendre le temps de connaître personnellement chaque membre de l'équipe, établir une communication ouverte et transparente (car il ne vous a pas échappé que vos collaborateurs étaient des adultes ;), partager régulièrement sur les objectifs, les projets et les décisions de l'entreprise, les encourager à poser des questions et à exprimer leurs préoccupations, promettre peu mais respecter ses engagements, être cohérent entre les actions et les paroles, reconnaître et récompenser les contributions et les réalisations.
Niveau organisationnel
Développer un sentiment de confiance des acteurs de terrain envers l'entreprise, c'est-à-dire pour être exact envers l'équipe dirigeante (PDG et actionnaires), requiert de la part de celle-ci de l'humilité (être en capacité de résister à la tentation du discours toujours valorisant mais langue de bois) et de l'honnêteté : selon que l'on est dirigeant ou collaborateur, le point de vue sur l'entreprise n'est pas le même. Une gageure donc. Les premiers ont généralement adopté une logique financière parfois parfois très court terme. L'entreprise est un actif qu'il faut rentabiliser. C'est par ex. la concentration sur le « cœur de métier » et à la multiplication des sous-traitances qui ont remis en cause la confiance des salariés. Pour ces derniers, l'entreprise est un lieu de collaboration, de travail ensemble, autour d’une activité commune : c'est une projection dans la durée. Le manager a des éléments à sa portée afin d'instaurer de la confiance dans les relations avec son équipe : on fait confiance à son manager (compréhension, proximité : on vit la même histoire) mais pas à la direction (incompréhension, éloignement : on ne vit pas la même histoire). La première condition consiste à travailler d’abord sur ces compréhensions et références communes de la vision, de la mission et des valeurs de l'entreprise, avant de rêver à des consensus. Ces 3 éléments s'inscrivent dans une longue durée et renvoient à la raison d'être de l'entreprise. Ils doivent être en cohérence avec la réalité perçue par les acteurs de terrain. C'est - idéalement - l'opportunité pour tous les acteurs d'adhérer à une sorte de constitution interne. La responsabilité des dirigeants est alors de garantir cette cohérence. Rien n’est plus dommageable que des valeurs proclamées sans être appliquées dans le quotidien vécu par les acteurs dans l’entreprise. La clé de voûte se situe ici à la tête de l'entreprise. L'équipe de direction doit avoir une forte cohésion assise sur des relations de confiance entre ses membres. Comment représente-t-elle la mission, la vision ? Comment travaille-t-elle en équipe (2) ? Sans cette forte cohésion, il sera impossible de mettre en œuvre la confiance envers l'organisation entière. L'équipe de direction sert de modèle à toutes les autres. Ici, plus qu’ailleurs, la question de l’exemplarité est posée puisque les collaborateurs seront particulièrement sensibles au fait que leurs dirigeants soient évalués et rétribués en fonction des valeurs affichées.
Dans un horizon temporel plus court, la confiance des acteurs tient largement à leur participation (qu'elle soit directe ou indirecte) dans l'agencement des moyens, ressources et objectifs d'entreprise, concrétisé par la stratégie et les budgets. Deux obstacles se dressent sur la route de la confiance. Le premier est justement le peu de temps attribué par les dirigeants à l'appropriation des objectifs par les managers des niveaux inférieurs dans la cascade de délégation. S'il est commun de dire, lors de l'entretien annuel, que le collaborateur doit proposer ses propres objectifs, ceci s'effectue à l'intérieur d'un cadre que sont les objectifs non négociables d'un service ou d'un département. Quand des managers, en privé, qualifient lesdits objectifs d'extravagants ou d'irréalistes, ce n'est pas exactement un premier pas vers la confiance dans la pertinence du leadership… Le second obstacle tient à l'organisation même de beaucoup d'entreprises. Lorsque celle-ci est fortement centralisée, formalisée, hiérarchique et centrée sur l'efficience (= la capacité d'accomplir une tâche ou d'atteindre un objectif avec un minimum de ressources utilisées), elle aura plus de mal à générer des comportements managériaux dignes de confiance, particulièrement dans la communication et la délégation du contrôle. Celui-ci est alors assez lourd : les reportings (en fréquence et détails chiffrés) autorisent un pilotage plus serré des dirigeants mais éloignent alors les managers de ces supérieurs hiérarchiques, considérés en permanence comme des juges de leur performance. L’abstraction du nombre, le côté inquisiteur d'un questionnement uniquement ciblé sur les KPI sans proposer d'aide, nuit à la qualité de la relation personnelle et au final, à la confiance. L'entreprise qui souhaite obtenir la confiance et l’engagement de ses salariés, doit en premier lieu installer un écosystème qui leur donne l’équivalent de ce qu’ils lui apportent : salaire, développement, reconnaissance, autonomie. C'est une mise à jour (presque) permanente : le contrat psychologique () entre l'entreprise et le salarié (particulièrement la génération Z) évolue vers une relation - plus transactionnelle et moins confiante voire plus cynique - du salarié à l’entreprise.
Pourtant la confiance est un besoin de l’individu et du collectif qui, s’il n’est pas satisfait, devient une source de mal-être et même de souffrance au travail. Quand la confiance devient synonyme, pour beaucoup, de naïveté, il est temps que les dirigeants s'en alarment. Les situations de défiance profonde, continue, généralisée, contribuent à faire des salariés (collaborateurs comme managers), des mercenaires plutôt que des missionnaires. Ça compromet la performance des entreprises : on ne gagne pas une guerre avec des mercenaires.
(1) La formule et l'exemple troc / monnaie sont de Niklas Luhmann, Trust And Power, 2018
(2) Voir l'article sur les équipes de direction
Photo : Pixabay
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